#JeudiAutoEdition - Qui sont ces auteurs ? #53



Le #JeudiAutoEdition est un rendez-vous que je suis de très près depuis un petit moment et n'ayant pas toujours une lecture sous la main, je préfère mettre en avant un ou une auteur(e) auto-édité(e), ce qui, je l'espère, vous permettra de le ou la connaître un peu plus et pourquoi pas, la curiosité fera le reste ... 





Cette semaine, c'est au tour de Patrick Ferrer




  • Les présentations 

Pour commencer, est-il possible de vous présenter en quelques mots ?
(Etudes, métier, loisirs, etc)

Bonjour Audrey,

Je suis ce qu’on appelle un autodidacte, c’est-à-dire que je n’ai jamais fini ma scolarité et que je me suis formé à travers la lecture, l’étude et l’expérience de la vie. C’est à mon sens la meilleure école. Comme j’ai toujours été intéressé par l’art et spécialement la littérature, la plupart de mes boulots ont tourné autour du livre. N’ayant aucun diplôme, j’ai commencé tout en bas, en tant que bouquiniste, et puis j’ai gravi les échelons progressivement dans le monde de l’édition. J’ai changé de carrière à l’âge de cinquante ans pour me consacrer à ce qui m’avait toujours démangé, l’écriture de romans et nouvelles. Je n’ai pas de loisirs, je n’en ai pas vraiment besoin, car l’écriture est une activité qui me passionne et à laquelle je dédie la majorité de mon temps et de mon énergie.



Quel genre littéraire appréciez-vous lire ?

Je n’ai pas de genre particulier. J’aime le roman, le théâtre, la poésie mais je trouve mon plaisir dans n’importe quel genre, à l’exception des trucs trop sadiques. Donc je lis indifféremment du polar, de la SF, du roman contemporain, des vieux écrits antiques, du fantastique, de la romance même, de l’érotisme, des biographies, etc. etc. C’est important pour moi, en tant qu’écrivain, de diversifier mes lectures pour ajouter à ma palette. On n’imagine pas par exemple un compositeur qui n’écoute qu’un seul genre de musique ou ne connaisse qu’un seul instrument. Le gars qui n’écoute que du classique par exemple. Ou que du jazz. Si on veut créer quelque chose de nouveau et d’original, il faut connaître ce qui s’est fait avant, il faut savoir jouer dans tous les registres. Donc pas de genre de prédilection particulier, mais ça fait un peu partie de mon travail.



Quel est votre top 5 des auteurs favoris ?

Une question difficile, en fait. D’abord, parce que je suis un auteur avant d’être un lecteur. Ce n’est pas du tout la même approche. Le travail d’un auteur consiste principalement à transcender (sans le renier) son héritage, c’est un processus de séparation progressive par rapport aux influences qui vous ont formé afin de créer quelque chose de nouveau. L’auteur doit, à mon avis, s’astreindre à explorer un terrain en friche pour rester dans un processus créatif. Sinon c’est du copier/coller, ce n’est pas de l’écriture. Alors oui, il y a des livres et auteurs que j’ai beaucoup aimés ou qui m’ont beaucoup aidé mais je suis aujourd’hui dans une démarche de détachement fondamental par rapport à eux.

La seconde chose, c’est que les goûts littéraires se font et se défont avec l’âge, les circonstances de la vie, les rencontres que l’on fait. On n’apprécie pas les mêmes auteurs suivant qu’on est enfant, adolescent, adulte, suivant qu’on est triste ou heureux, en phase de révolte ou d’apaisement, amoureux transi ou dévasté par une séparation. Amélie Nothomb dit qu’on doit sortir d’un bon livre une différente personne qu’on y était entré. Les livres sont les jalons de notre évolution, de notre transformation personnelle et on ne demande pas au papillon qu’elle était la lecture préférée de la chenille. On ne peut pas revenir sur ses pas. Mon parcours de découverte personnel ne sera jamais tout à fait celui d’un autre et mes avis de lecture ne seront donc pas pertinents pour quelqu’un d’autre.
Ma bibliothèque est un cabinet des souvenirs, des choses que j’ai vécues, des gens que j’ai croisés, et qui me sont très personnels. Ce sont les pavés qui ont jalonné ma route et m’ont aidé à avancer, mais une fois que je les ai dépassés, je n’ai pas envie de revenir en arrière pour retrouver un vieux moi qui n’existe sans doute plus. J’y reviendrai peut-être, vers la fin de ma vie, lorsque la mémoire commencera à me lâcher. Pour l’instant, je regarde plutôt vers le futur et mes auteurs favoris sont ceux que je n’ai pas encore découverts et qui refléteront et imprégneront ma vie à venir. Mais je ne les connais pas encore.



votre vie d'auteur 


Depuis quand vous êtes-vous intéressé(e) à l'écriture ?

Depuis toujours, mais je ne m’y suis consacré que depuis une dizaine d’années. Une question de temps. C’est un énorme investissement, en tout cas pour moi, d’écrire un roman. Cela peut s’étendre sur de très longues durées, vous allez vivre avec cette œuvre en création pratiquement 24 heures sur 24, vous allez délaisser vos amis, votre famille, vous allez investir peut-être un an ou deux de votre vie dans un roman sans savoir si ça va aboutir sur quelque chose de vaguement publiable. C’est peut-être du temps perdu et le résultat n’intéressera personne. Certains auteurs doivent attendre dix ou quinze ans et plusieurs romans avant de percer. Certains n’y arrivent jamais. Donc ce n’est pas une activité dans laquelle on peut s’engager à la légère, ça demande certains sacrifices mais, bien sûr, ça peut être très, très enrichissant, éventuellement.



Qu'est-ce qui peut faire l'objet d'inspiration pour vous ?

Je ne crois pas beaucoup à l’inspiration. Je pense plutôt que l’art est simplement une forme d’expression. Qui touche des niveaux de sensibilité supérieurs, certes, mais qui n’est néanmoins qu’une façon de s’exprimer. Les gens qui « manquent d’inspiration » n’ont peut-être rien à exprimer ou ne savent pas comment s’exprimer. Les idées, les histoires, les émotions sont partout autour de nous et en nous, il faut simplement savoir comment les mettre en musique. Je prends la musique comme analogie parce que c’est un art très différent dans sa pratique mais très proche dans son effet sur le public et le créateur. En musique, on ne débute pas avec la partition toute prête dans sa tête. On a juste envie d’exprimer des trucs qu’on ne peut pas exprimer d’une autre manière. De l’amour, de la révolte, de la colère, de l’émerveillement, de l’angoisse, etc. Alors on apprend les notes, on fait des arpèges, on maîtrise son instrument chaque jour un peu plus, on joue les partitions des autres, on continue à s’entraîner, à enchaîner les notes. C’est très technique mais un beau jour on arrive au point où l’on peut dépasser la technique pour donner vie à cette chose qu’on avait en soi. Ça peut enfin sortir sous une forme que d’autres pourront également ressentir et qui les fera vibrer. Mais c’est uniquement parce qu’on a pratiqué tous les jours, qu’on sait jouer de son instrument, qu’on va pouvoir enfin donner corps à cette chose qui n’est pas de l’inspiration mais que j’appellerais simplement l’expression de soi.



Quel est votre rythme d'écriture ?

Là, je vais encore dépoétiser l’image de l’écrivain soupirant au clair de lune et pondant une œuvre majeure entre le lever et le coucher du soleil. Il me faut un bon millier d’heures pour pondre un roman, entre l’écriture, la recherche, les relectures, les longues périodes de doute et de questionnement. C’est mon rythme personnel, ça varie d’un auteur à l’autre. Donc je dois m’astreindre à une pratique journalière de vingt heures par semaine au minimum, sachant que j’ai un boulot alimentaire à plein temps à côté, une petite amie, etc. si je veux pondre un livre par an. Pas très poétique, n’est-ce pas ? Mais l’écriture c’est essentiellement ça, une discipline à laquelle il faut s’astreindre de façon régulière, chaque jour si possible, si on veut faire ça sérieusement. La plupart des auteurs professionnels écrivent quatre à six heures par jour, 300 jours par an (les 65 autres jours ils font des salons et des dédicaces).



Si vous pouviez donner vie à l'un de vos personnages, lequel choisiriez-vous ?

C’est une question très indiscrète et limite dangereuse. C’est comme réunir tous les ex d’une personne dans une même pièce et lui demander lequel est son ou sa préférée… La personne n’en sortira pas vivante. Il faut comprendre qu’une fois que vous avez donné vie à un personnage, il va continuer à vous hanter, bien longtemps après la fin du roman. Il se rappellera de temps en temps à votre souvenir, viendra vous rendre visite régulièrement pour s’assurer que vous ne l’avez pas oublié. C’est sans doute la raison pour laquelle certains auteurs se limitent à deux ou trois personnages récurrents. Plus, ça fait beaucoup de monde à gérer. Donc, je vais m’abstenir sur cette question, je tiens à ma peau.



Sur quel(s) projet(s) travaillez-vous actuellement ?

Je viens de sortir cet été un roman en librairie aux éditions Incartade(s), ce qui m’a pris et me prend encore pas mal de temps parce que ça demande un gros travail de promotion (publier en librairie et l’autoédition sont deux choses très différentes), et je termine l’écriture de mon troisième roman (un polar un peu fantastique) que j’espère boucler et sans doute auto-publier avant la fin de l’année. J’écris aussi régulièrement des nouvelles pour mon propre plaisir (ça me détend) et pour des éditeurs qui me sollicitent. J’aimerais pouvoir faire plus, j’ai plein d’autres idées de projets, notamment un recueil de nouvelles de SF, mais je n’arrive pas à tout faire, c’est très frustrant. J’ai des amis auteurs qui parviennent à sortir deux ou trois romans par an et je les envie énormément !



Comment avez-vous vécu l’enthousiasme des premiers lecteurs ? Le retour des critiques, positives comme négatives.

En fait, c’est entièrement grâce aux lecteurs (et lectrices), et à leur soutien et encouragements, que je n’ai pas renoncé dans mon projet d’écriture. Ce sont eux qui m’ont donné la force de continuer et de surmonter tous les obstacles. Quand les maisons d’édition ont unanimement ignoré mon premier manuscrit, j’ai mis mes écrits en lecture libre sur des sites en ligne et sur mon blog. Très vite, j’ai commencé à avoir mes premiers retours, de gens que je ne connaissais pas mais qui aimaient ce que je faisais et qui m’ont encouragé à persévérer. On n’imagine pas, il faut le vivre pour le comprendre, mais ça vous file une pêche pas possible.
Ce sont eux qui m’ont fait comprendre pour qui j’écrivais. Ça a l’air stupide, en tant qu’auteur, de ne pas savoir pour qui vous bossez. On imagine qu’on bosse pour un éditeur, les libraires ou les critiques, mais en fait non. On bosse pour les lecteurs. Si on n’a pas leur soutien, on n’a rien. Et quand vous l’avez, tout devient possible. C’est entièrement grâce au soutien de lecteurs et lectrices que j’ai pu accomplir ce que j’ai accompli jusqu’à présent, tout seul je n’y serai jamais parvenu. Je ne les remercierai jamais assez de m’avoir appris cette leçon, qu’on écrit pour un public de lecteurs et que, si on fait bien son boulot, ils vous le rendent au centuple.



 La publication 

Comment s'est passé votre parcours pour l'auto-édition ?

Comme décrit plus haut, je suis arrivé à l’autoédition uniquement à cause des encouragements de mes premiers lecteurs. Je parle de parfaits inconnus qui ne me connaissaient qu’à travers mes écrits. Ce n’était pas du tout mon plan initial mais j’avais soudain de la demande pour mes écrits et je devais donc bien trouver un moyen de les publier. Les maisons d’édition n’étaient visiblement pas intéressées, il fallait que je me débrouille autrement.
À l’époque, l’autoédition commençait tout juste à prendre de l’essor en France, notamment grâce au programme Kindle Direct Publishing lancé par Amazon. J’ai eu la chance de rencontrer virtuellement un pionnier de l’autoédition, le très sympa Jean-Philippe Touzeau, qui avait déjà publié sept ou huit romans et, à travers son séminaire gratuit en 21 vidéos, j’ai appris comment ça fonctionnait. Je pensais que l’autoédition étaient pour les laissés-pour-compte et c’est lui qui m’a fait comprendre que ce n’était pas le cas, que c’était simplement un moyen de mettre ses écrits à la disposition du public, directement, sans aucun filtre. Et advienne que pourra !
J’ai donc suivi ses conseils, réorganisé mon premier roman en trilogie pour permettre aux lecteurs d’entrer dans l’histoire à un prix très compétitif et j’ai bossé à me faire connaître. J’écrivais également des nouvelles pour des concours, des magazines et des anthologies, ce qui me permettait de toucher d’autres lecteurs potentiels pour mon roman. À ma grande surprise (et joie), le premier tome a été sélectionné pour le Prix Amazon 2015 comme l’un des dix meilleurs romans autoédités de l’année. Tout est allé très vite après ça. Quand j’ai finalement publié le roman dans sa version intégrale en un volume, il est rapidement arrivé au sommet des listes des meilleures ventes et y est resté six mois. Aujourd’hui il s’est vendu à plus de dix mille exemplaires en numérique, ce qui n’est pas mal pour un polar.
À la suite de ce premier succès, j’ai été contacté par plusieurs maisons d’édition pour publier mon roman en librairie et nombre de mes amis et collègues autoédités ont connu le même sort.
Dès que j’ai eu un peu plus d’expérience, j’ai aidé à mon tour de jeunes auteurs à démarrer car l’autoédition est une sorte de cercle vertueux où le succès des uns rejaillit sur le succès des autres. En gros, plus les auteurs autoédités réussissent, plus il y a de lecteurs potentiels et plus les maisons d’édition, la presse et les professionnels de l’édition s’intéressent au phénomène. C’est gagnant-gagnant.



Pour vous, quels sont les avantages ainsi que les inconvénients de cette méthode de publication ?


Les avantages sont évidents, c’est une liberté retrouvée aussi bien pour les lecteurs que pour les auteurs. L’autoédition a littéralement inversé les rapports de force dans l’édition. Avant, c’était les maisons d’édition qui décidaient des livres à mettre sur le marché. Aujourd’hui, c’est le public qui décide quel auteur ou ouvrage il va soutenir, et les maisons d’édition s’alignent sur ces choix. Cela reproduit le cycle initial, car les maisons d’édition ne sont apparues que des siècles après l’invention de l’imprimerie. Les grands auteurs classiques depuis l’Antiquité et jusqu’au milieu du XIXème siècle n’ont jamais eu d’éditeurs (ils n’existaient pas). Les maisons d’édition ne se sont créées que pour capitaliser sur le marché déjà existant de l’écrivain et de son public. La révolution numérique et l’impression à la demande ont fait renaître ce schéma, et redonné le pouvoir aux lecteurs. « Cinquante nuances de gris », quoi qu’on en pense, est l’exemple même de ce phénomène.

Je note d’ailleurs que les catégories qui réussissent en autoédition sont celles qui sont en partie délaissées ou méprisées par les grandes maisons d’édition, mais visiblement pas par les lecteurs. Le « feel-good », la romance, le young adult, sans oublier l’érotisme. Derrière viennent le polar et le thriller mais ceux-là ont plus de compétition dans le marché traditionnel. La SF et Fantasy, en dernier, parce c’est un genre qui est assez peu représenté chez les grands éditeurs. C’est un peu l’image inverse du marché dit traditionnel. Par exemple on voit assez peu de romans contemporains, d’essais ou de biographies en autoédition, c’est saturé par les maisons d’édition qui considèrent que c’est important pour leur image de marque (c’est quand même mieux pour les Prix littéraires et les plateaux télé), même si ça se vend assez peu, à de très rares exceptions près.

Les inconvénients sont que certaines personnes peu scrupuleuses vont utiliser cette liberté pour tromper le chaland et essayer de faire du fric avec. Ça existe aussi. Ça parasite le travail des auteurs sincères et ça peut donner une mauvaise réputation à l’autoédition. Mais en dernière analyse, c’est toujours le lecteur qui a le dernier mot. Et si vous faites un vrai travail d’écriture, ça se verra tout de suite. Dès la première page. Donc le lecteur est, et restera, ce qui fait vivre l’autoédition et permet à de nouveaux talents d’éclore sans contraintes particulières. C’est une symbiose entre l’auteur et le lecteur et j’espère qu’elle aura encore de beaux jours devant elle.




- Les petits plus -


Où peut-on vous rencontrer pour boire un café et/ou pour une petite dédicace ?

Il n’y a pas de meilleure façon de rencontrer un auteur que dans ses écrits. Rencontrer ses personnages, découvrir son imaginaire. L’auteur lui-même est souvent une personne de peu d’intérêt. Il n’est pas vraiment là, la tête toujours dans les nuages. Il n’a pas un charisme de folie et c’est souvent quelqu’un d’un peu timide. Il a tendance à prendre du bide parce qu’il passe la majorité de son temps assis, pas un grand sportif. Les auteurs très séduisants n’existent que dans l’inconscient collectif des éditeurs parce qu’ils pensent que c’est plus vendeur. Malheureusement les gens très séduisants n’ont pas besoin d’écrire et du coup le résultat littéraire n’est pas terrible. Houellebecq est probablement la plus parfaite illustration du véritable écrivain.
Mon corps hante assez régulièrement le salon du livre de Paris, vous pourrez sans doute l’y retrouver là-bas. Mais si vous désirez réellement me rencontrer, cela ne se fera vraiment qu’à travers les pages de mes livres.


Si cette interiew a créer de la curiosité, il est possible de retrouer l'auteur, Patrick Ferrer, sur son blog, sa page facebook et/ou son compte Twitter !



Commentaires

Articles les plus consultés